Le dernier chevalier
Comment a-t'on pu oublier le dernier chevalier de cette forteresse ?
Comment a-t'on pu ne pas se rappeler toute cette abnégation prodiguée à protéger le dernier siège du roi, à faire face à ces barbares toujours plus nombreux, qui focalisaient leurs attentions sur ce symbole de l'autorité et de la justice, permettant la paix et la prospérité de cette contrée. Les événements s'étaient chevauchés sans que les armées royales n'aient pu faire face. Les sauvages de l'est et du nord s'étaient regroupés en une masse inexorable et avaient envahi les terres, semant sang et pleurs. Maintenant, les tours étaient tombées, le roi avait disparut, sans doute pour trouver quelques renforts vers les autres frontières. Il ne restait que cette forteresse encore debout sous le fanion aux deux couleurs, emblème du roi en exil.
Les attaques successives avaient décimé les derniers chevaliers encore fidèles, jusqu'à lui. Encore debout, vigilant, héroïque. Il était partout à la fois, aux quatre coins de la citadelle, repoussant les ennemis de son bras armé, de son souffle, de sa volonté. Les assiégeants voyaient en lui un mage guerrier ayant don d'ubiquité. Déjà deux attaques massives repoussées encore aujourd'hui, et les barbares se regroupaient pour lancer le troisième assaut.
La nuit allait tomber, si il tenait bon, malgré sa fatigue intense, il serait en mesure de se reposer un peu pour tenir encore la journée du lendemain qui pourrait être celle du retour de son roi.
Il était prêt, voyait les meutes s'organiser et s'avancer en rangs serrés. Ses javelots taillés à la hâte étaient plantés à ses côtés, et son épée vibrait dans le fourreau. Il guettait un signe dans le ciel pendant qu'il récitait son éternelle allégeance au roi.
Le signe vint, sous forme d'un cri lointain qui fit disparaître les ennemis en un tas de cendre immédiatement. Le dernier chevalier sourit, caressa sa lame pour la calmer, et répondit au cri salvateur.
"J'arrive M'man !"
Il glissa le long de la corde qui pendait de la cabane en équilibre sur son arbre, et couru vers la maison, en se promettant de bien manger sa soupe. Parce que demain, si le roi ne venait pas, il aurait besoin de force pour en finir avec ces sauvages. Et peut-être, alors, serait-il intronisé en récompense de sa fidélité et de sa valeur au combat.
"J'arrive M'man, et j'ai faim !"