Le stand de tir
Jean moulant noir, chemise blanche échancrée sur sa poitrine velue, Gucci dernier modèle aux pieds, montre et médaillon en or. Il entre dans la boîte de nuit. Son type méditerranéen tranche avec la blancheur de sa chemise et les lumières semblent se projeter sur lui quand il s'impose au milieu de la piste. Il effectue une série de déhanchés savamment étudiés pendant quelques minutes, suffisamment pour attirer l'attention sans pour autant déclencher la transpiration qui mettrait à mal tous ses préparatifs de prédateur nocturne. Maintenant, direction le bar pour un get 27 on the rock, qui est un bon compromis entre le verre de soda qui fait ridicule et l'alcool fort qui fait chanceler. Un chasseur doit toujours avoir l'esprit clair et l'oeil expert. Une étude minutieuse de 180°, de gauche à droite du comptoir, lui permet de se faire tout d'abord une idée assez précise du gibier en place. Il cherche le bon arbitrage entre ce qu'il est capable d'attraper et ce qui est indigne pour lui d'honorer. Plusieurs choix sont possibles encore ce soir. Il entame sa première étape qui consiste à s'approcher, contre le bruit, de sa première victime potentielle, qui est rarement la proie qu'il ramène chez lui, en prenant son air indifférent, sa démarche féline, et son regard de braise qui, il le sait, reste son atout majeur.
Elle est blonde par choix, sirote un coca light parce que les bourrelets arrivent plus vite que les racines brunes de sa chevelure, porte une mini-jupe qui laisse apercevoir le piercing de son nombril, et des faux cils qui ont repérés le chasseur , malgré toutes ses précautions, pour lancer des harpons vers les bijoux en or. Le prédateur est devenu proie sans qu'un seul de ses cheveux géléifiés "extrême-béton" ne le mettent en garde.
La suite se passe comme prévue pour tous les deux, chacun croyant être le dominant enserrant le collet sur le collier de l'autre. C'est pourtant chez elle et pas chez lui que la soirée se termine, l'une y voit une victoire, l'autre ne voit pas d'inconvénients. Ils rentrent dans la chambre, se bousculant tout en se collant. Il a juste le temps d'apercevoir tout au long des murs, des centaines de peluches de nounours bien rangées, des petites collées sur les étagères du bas, des moyennes sur celles du milieu et des énormes oursons sur les supports du haut. Il est d'abord surpris par cette profusion anormale de ces objets enfantins dans une chambre d'une femme de cette classe, mais le temps est à autre chose qu'aux questions. Les habits s'évadent par des doigts entraînés à passer plus de temps à s'habiller pour plaire qu'à dévêtir pour la chair. Le moment qui suit est intense, et les corps bodybuildés habitués aux efforts sans fatigue se mélangent.
Maintenant, ils soufflent en fumant des king size filtres, les regards tournés vers leurs égo respectifs, chacun estimant avoir été sublimes et inoubliables. Une fois ces profondes introspections accomplies, l'homme se tourne vers la femme et prononce ces magnifiques mots qui furent sans aucun doute les premiers prononcés par Adam une fois la pomme sautée.
"Alors, c'était bon ?"
La femme écrasa sa cigarette dans le cendrier en forme de vagin posé sur la table de nuit et répondit.
"M'ouais, tu peux prendre un lot sur l'étagère du bas"