Conteur funèbre
Dans les chaleurs moites des caveaux abandonnés, nos aïeuls s’ennuient à mourir. Le rêve est la seule vie autorisée, la seule distraction efficace, l’unique récréation réparatrice.
Dans le froid persistant des fosses communes, nos anciens soupirent jusqu’à l’étouffement. Ils comptent leurs os, ceux de leurs voisins, et même si ils n’arrivent jamais aux mêmes nombres, ils s’impatientent de nouvelles activités, de nouveaux faits divers dans cet hiver permanent.
On s’imagine une paix éternelle, une sagesse de l’omniscience, une apaisement sans parasites. On se plaît à croire que, pour eux, le pire est enfin terminé et que les épreuves les laisseront dans la quiétude que nous aspirons trouver enfin dans cette seule fatalité qui est commune à chacun.
Je sais qu’il n’en est rien, dans mes promenades inquiètes autours de leurs demeures, je peux les entendre me raconter l’ennui de l’éternité. Je peux discerner les murmures réclamants de nouveaux événements qui leur permettraient de s’ouvrir de nouveaux rêves, et tenir quelques instants de plus dans cette oisiveté irréparable.
Alors, le matin, j’épluche les journaux, blogs, magazines, et assemble des histoires, anecdotes, contes, chroniques, pour, le soir venu, partir de caveaux en tombes, de fosses en sépultures, narrer, raconter, et nourrir les gisants.
Des potins people pour certaines, des résultats sportifs pour d’autres, des analyses politiques ou économiques pour les suicidés des cracks boursiers ou victimes de certains régimes policiers.
Chaque mort de mon cimetière est ciblé et bénéficie d’un service adapté. Tel le responsable du Service Après Vente de La Camarde, je distribue du bien être et de la distraction aux martyrs de l’infini.
Trouvez votre cimetière, vos éternels et insatiables impatients, occupez les, en espérant que les jours où le temps aura épuisé vos rêves, il passera quelqu’un qui vous entendra et alimentera votre sempiternelle nuit.