/https%3A%2F%2Fprofilepics.canalblog.com%2Fprofilepics%2F4%2F3%2F432534.jpg)
Quand je serai grand
Il jeta son cartable tout neuf au pied du platane qui trônait dans la cour de récréation.
Son rictus habituel habillait son visage comme un masque usé. L'avait-on déjà vu sans ce masque ?
Ce jour là, sa grimace avait un air encore plus sournois que celui de la veille. Le jour d'avant la veille, on ne sait pas, c'était jeudi et à l'époque, le jeudi, c'était plus l'école de la vie que celle de la connaissance théorique.
Ce jour là, il avait un stock de billes qui aurait fait pâlir "le gros" (Éric Biron, déjà plus de soixante kilos et fils du marchand de jouets de la place de la mairie) qui manquait l'école cette semaine pour indigestion.
A peine le premier rebond du cartable sur l'écorce encore humide de ce début de samedi automnal, qu'il s'avança vers un groupe d'écoliers s'appliquant à construire des pyramides des quatre billes, yeux plissés et langues sorties.
-"Bonjour !" dit-il
-…(silence)
-"J'ai des billes toutes neuves, agates, calots et des terres sans éraflures"
-…(silence)
Le sac de billes rejoignit les cahiers dans le cartable moins neuf du choc "platanien", et il s'assit, les yeux rivés sur les ondes déclenchées par les rires et les cris des lanceurs de globes colorés, irisés.
Son regard essayait de dévier les trajectoires ou de faire écrouler les constructions égyptiennes avant les impacts. Et, il se plut à croire, à chaque maladresse, que son contrôle sur les objets et les humains prenait de l'ampleur. Encore un peu d'expérience et de temps et ce contrôle serait total.
Il n'eut ce jour là pas le temps de parfaire son pouvoir, la cloche se déclencha.
Rien de surnaturel, c'était juste l'heure où se déclenchaient les cloches dans toutes les écoles de France. Et le XVII ème arrondissement de Paris appartenait à ce pays.
Il rejoignit son banc, dans un brouillard alimenté par cette haine d'avoir été si ouvertement ignoré et humilié.
Monsieur Bastide, instituteur comme il n'y en a plus, capable de toucher l'oreille d'un dissipé à six mètres, sans hésitation, avec une craie, termina l'appel avec satisfaction.
- "Un seul absent aujourd'hui, c'est bien " claironna t-il.
Le samedi était le jour de la rédaction...
D'habitude, il adorait cette matière, sa copie était régulièrement lue devant la classe, en exemple, le mardi matin, quand Monsieur Bastide avait terminé les corrections.
Le sujet était "Quel métier aimeriez-vous faire quand vous serez grand ?" (on l'a tous eu celui-là, non ?)
Les cahiers, plumiers s'agitèrent sitôt le top donné. Sauf sur le pupitre d'un élève.
Les yeux fermés, il créait un décor, flammes et vents, cris et stupeurs...
"Une estrade, plus haute que celle de l'instituteur était érigée. Il trônait, habillé d'or et de pourpre, de ses mains couvertes de bijoux rutilants, il ordonnait supplices et mises à mort. Les garçons de sa classe, de son école, de son pays, étaient sous son autorité despotique. Les garçon, pas les filles. Enfin, pas les filles aux longues jambes. il restait toujours interdit et attiré par les filles aux jambes interminables. les petites guibolles féminines seraient crucifiées avec les porteurs de phallus"
Claquement et douleur à l'oreille gauche.
En essuyant les traces de craie de son lobe, il entendit la voie de ténor de Monsieur Bastide
-"Alors, Nicolas !" rugit-il "et cette rédaction ?"
Nicolas ouvrit son cahier, ne pu retenir son tic à l’épaule gauche, pris sa plume, la trempa dans l'encrier creusé à même le pupitre et s'appliqua à écrire
"Quand je serai grand, je serai président de la république..."
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F41%2F73%2F504624%2F67241859_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F74%2F59%2F504624%2F67183489_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F12%2F23%2F504624%2F67115776_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F62%2F69%2F504624%2F38165801_o.jpg)